La mort dans l’âme, on est redescendu…mais on a échappé au pire….la montagne c’est aussi savoir renoncer
“Cette montagne est sacrée….ne ressens tu pas une ambiance très très spéciale là-haut ? » me dit Pichi !!
Nous nous sommes décidés d’y retourner sur un coup de tête, un peu pour mon anniversaire, pour changer d’air, pour conjurer la malédiction de LLullaillaco, et en hommage à Manu aussi……c’est la troisième fois que j’y vais. La première fois, il y a un an et demi, c’était avec Manu et Sandra, une petite tempête de neige apparut soudainement aux ruines sacrées nous empêchant de fouler le sommet. Manu s’est tué dans une avalanche 3 mois après cette expédition et je voulais y retourner afin de lui faire un dernier hommage sur cette montagne qui fut son dernier sommet. La deuxième fois était en novembre dernier avec Gilbert et Brigitte. Cette fois-ci je me suis sentie mal suite à un gros stress émotionnel qui m’avait alors provoqué des douleurs violentes dans la poitrine craignant alors l’embolie pulmonaire. Cette dernière aventure m’a fait perdre confiance en moi, j’avais besoin d’une bonne expérience !
Mieux vaut tard que jamais…un adage pas toujours vrai !!
Nous savions que c’était un peu tard dans la saison, mais la météo sur forecast était excellente, grand ciel bleu, et peu de vent. C’était donc reparti pour Salta. J’adore cet endroit, et je ne m’en lasse pas. Nous allions cette fois-ci tous les deux avec Hugo, sans stress. J’avais retrouvé ma forme et ma sérénité. J’étais aussi super entraînée. Cette fois-ci, je devais monter. Pichi nous aida à organiser notre petite expé. Il avait réservé Lorenzo pour nous aider à porter.
Tout allait comme sur des roulettes. Le jour du départ de Tolar Grande, notre porteur ainsi que sa femme avaient disparu. Nous étions seuls dans leur auberge. Après une petite enquête, nous apprîmes que leur fille avait eu un grave accident de voiture dans la nuit. Triste nouvelle. Nous fîmes le tour du village afin de savoir si une autre personne pouvait nous accompagner, mais malheureusement, tous étaient occupés dans les mines ou ne souhaitaient pas venir. Tant pis, nous allions monter seuls en style alpin. Plus nous approchions des volcans, plus les nuages se faisaient nombreux. C’était vraiment bizarre car la météo n’annonçait pas du tout de nuages. Peut être s’agissait il que de brumes qui s’accumulent sur les sommets en après-midi. Je tentais de rester sereine et positive.
Juste avant d’arriver au camp de base, nous croisâmes 3 pick up. C’étaient des amis de Pichi. Ils partaient un peu en catastrophe, le vent du nord se lève et le mauvais temps avec, nous dit l’un d’eux. Ils n’avaient même pas essayé de monter au camp haut.
Nous poursuivîmes notre route, un peu pensifs. Nous étions alors dans les nuages et il commençait à neiger quand nous arrivâmes au camp de base. On garde le moral. Après avoir monté la tente et préparé le dîner, le ciel se découvrit d’un coup. Génial ! Je savais bien que ce n’étaient que des brumes, rien de grave. La nuit fut exceptionnelle, étoilée, pas de vent ! le bonheur ! Pourvu que cela tienne encore 24 heures. Nous étions le 02 avril et nous avions fait une petite offrande en honneur à Manu, cela faisait pile un an qu’il nous avait quittés et mes pensées allaient à Sandra, cela me remplit de tristesse et je peste contre la vie qui est parfois injuste et cruelle.
On reprend espoir, ce n’était qu’une fausse alerte….ou peut être pas !
Le lendemain, grand ciel bleu, nous préparâmes nos sacs au gramme près car il fallait porter jusqu’au camp 2, sur 1000m de dénivelé afin d’arriver quasiment à 6000m. Exercice difficile à ces altitudes. Je me demandais si nous ne faisions pas une erreur en cherchant à monter au camp 2 directement. Mais bon, j’étais en forme et je voulais me tester, c’était donc parti…pour Llullaillaco en style alpin et quasiment en mode hivernal.
Je me sentais gonflée à bloc et je pris mon rythme de croisière pour monter à un bon rythme. En deux heures, nous étions au premier camp. Puis, la pente s’inclinait un peu plus, je m’en rappelais bien. On a donc baissé un peu le rythme. A ma grande surprise, j’étais devant Hugo. Rien que cela me donnait du baume au cœur. Bien sûr qu’il aurait pu me rattraper, mais il était chargé et a préféré baisser le rythme. Cela me donna des ailes de savoir que j’avais retrouvé ma grande forme et je voulais arriver le plus vite possible au camp d’altitude. Nous étions à quoi, 100 mètres de distance et à peine à un zig zag dans la montée….autant dire très proche du camp 2.
Concentrée dans ma montée, je n’avais pas réalisé que le temps s’était couvert. Nous étions même dans une tempête de neige naissante. Le ciel était sombre, même jaune je dirais. Et il n’allait pas tarder à neiger. Au moment où j’ai senti l’électricité passer dans mes mains et tout mon corps, Hugo était en train de crier de tout jeter. Je me retournais et le voyais jeter à terre son sac à dos, ses bâtons. Je compris de suite (cela m’était arrivé sur les arêtes de l’Illimani). Je jetais alors bâtons, GPS, sac à dos et je m’aplatis au sol dans la boue et la neige. Mince alors ! Ce n’était pas le moment de prendre un éclair sur la tête. Nous étions seuls et loin de tout à presque 6000m d’altitude. J’imaginais la scène, l’un de nous deux accidenté, ou pire mort foudroyé, ici, un véritable cauchemar. Non, cela allait passer. Je me levais et repris mes bâtons, je sentais encore un peu de jus, mais cela passa. Nous reprîmes notre marche. Nous étions à deux pas, maximum 50 mètres du petit lac au camp d’altitude. D’un coup, Hugo jeta de nouveau son sac. J’en fis de même. Mais cette fois-ci il était pris de panique. Une fois au Huayna Potosi, il avait été touché de près par un éclair. Il s’était retrouvé alors inconscient et était resté traumatisé depuis. Je me réfugiais sous un bloc de rochers. Mais je commençais à trembler de froid, il neigeait désormais très fort, tout était trempé. Hugo m’avait alors rejoint et me dit de descendre, qu’il ne voulait pas mourir ici. Nous étions tout proche du camp. Je me dis que finalement, cela était peut-être plus cohérent de se réfugier sous la tente. Hugo ne voulait plus toucher son sac à dos. On décrocha alors la tente et on laissa sur place son sac à dos. Il fallait absolument se réchauffer et se protéger de la tempête de neige, sinon nous allions mourir de froid ici au camp 2. On monta la tente sous un vent à décorner les bœufs, il neigeait très fort. On fit une espèce de paratonnerre avec les bâtons, le piolet, les crampons. Une petite éclaircie avait permis à Hugo de récupérer son sac à dos.
Malchance ou malédiction…le sort s’acharne contre nous…
Je priais pour que le temps se calme comme la veille. Que le vent tombe, que le ciel se dégage et que l’on puisse récupérer pour l’ascension dans la nuit. Nous avions prévu de partir vers 1h00 du matin. En attendant, j’étais trempée de la tête au pied, tout était humide dans mon sac à dos. Je me réfugiai dans mon sac de couchage plus un sac en polaire supplémentaire, que je me réjouis d’avoir porté. Malgré cela, je tremblais et ne pouvais pas m’arrêter. Hugo me dit que nous ne pourrions pas faire de l’eau chaude ni manger. C’était surtout l’eau chaude que je voulais. La tempête était trop forte, les vents à presque 100km/h, la neige tombait sans discontinu, il était juste impossible d’allumer le petit réchaud. En outre, nous avions pris la tente d’assaut sans abside, du coup il faut allumer le réchaud dehors. Résignée, j’essayais de me réchauffer dans mon duvet. Par chance, j’avais des chaufferettes. Je me décidais à les utiliser pour mes jambes et mon dos. Finalement, cela me fit comme une source de chaleur qui me permit d’arrêter de trembler. Merci les chaufferettes ! Je n’avais pas faim, du coup, le problème était résolu. Il restait cependant un gros souci. Si la tempête ne s’arrêtait pas en début de soirée, nous ne pourrions pas monter au sommet. Tout ça pour ça, je me sentais un peu découragée pour dire vrai. Je n’allais pas encore pouvoir fouler le sommet. Non, c’était trop bête, alors que je me sentais en pleine forme, même à 6000m d’altitude. Je me mis à prier intérieurement pour que la neige cesse et que le vent se calme. Mais, durant 12 heures, la tempête se déchaina, jusqu’à environ 5 heures du matin. Impossible de dormir, la tente pliait sous le vent, la neige entrait par rafale à l’intérieur de la tente et venait nous fouetter le visage. Nos duvets étaient congelés et blancs de neige. Nous avons lutté toute la nuit pour ne pas avoir froid, il était impossible de sortir dehors. Je me mis à penser à l’histoire que Pichi nous avait racontée. Une année, des amis à lui, étaient venus fin mars et avaient été frappé par une énorme tempête. Ils n’avaient pas réagi assez vite et étaient restés bloqués au camp de base par la neige. Leur 4×4 ne pouvait alors pas redescendre. Finalement, des sauveteurs étaient venus au plus près du volcan. Mais ils avaient dû abandonner leur véhicule et descendre à pied jusqu’au véhicule des sauveteurs. Je n’avais pas trop envie que cela nous arrive !
Mais, on en prend quand même plein les yeux…..c’était magique
Vers 06h30 du matin, nous nous décidâmes à sortir de la tente. Nous nous étions assoupis une fois que le vent s’était calmé, épuisés par une nuit de lutte contre le froid et le vent. Il faisait grand bleu, il n’y avait plus de vent. Mais le froid était polaire, glacial. Que faire ? foncer au sommet en prenant le risque qu’une autre tempête survienne en milieu de journée. Toute la Cordillère était blanche, immaculée, splendide.
Nous étions émerveillés par les paysages, mais en même temps, effrayés à l’idée de rester bloqués ici. La veille, les nuages et le mauvais temps étaient arrivés en début d’après-midi. Il fallait prendre une décision. Le froid était mordant, même sans vent, nous avions les mains congelées à sortir nos duvets de la tente, même Hugo qui n’a jamais froid aux mains. Je regardais la Cordillère et commençais à me demander si nous allions pouvoir descendre en voiture. Tout était blanc. La mort dans l’âme, nous décidâmes de descendre au plus vite, afin de nous échapper du volcan. C’était décidé. Nous pliâmes nos affaires et descendîmes dans la neige.
Petit à petit, je me réchauffais. Il semblait que la neige était moins importante sur le versant de la piste carrossable, je pouvais être un peu rassurée. Mais, je ne le serais complétement qu’une fois à Tolar Grande, au premier village. La voiture a démarré, premier miracle, nous partîmes au plus vite. Les nuages commençaient déjà à apparaitre en fin de matinée. Il ne fallait pas tarder. Nous avions 5 heures de route jusqu’à Tolar Grande. Je retins ma respiration durant toute la descente sur la piste enneigée. Cela passait, mais il ne fallait pas rester bloqués. Une fois plus bas sur la piste carrossable en bien meilleur état et surtout sans neige, je pus respirer. En regardant derrière nous, les nuages étaient bien noirs et nombreux. Cela ne présageait rien de bon.
Un retour chaotique dans la ville de Salta inondée…..
Je ne rêvais que d’une bonne douche chaude, un bon repas (nous n’avions rien mangé depuis 24 heures) et un bon lit. En arrivant à Tolar, 4 grands bus de mineurs étaient stationnés et aucun lit n’était disponible dans le village. Il a fallu nous résigner à rouler de nuit jusqu’à San Antonio de los Cobres, à 4 bonnes heures de route de là. Nous arrivâmes presque à minuit et par chance , la réception de l’hôtel était encore ouverte, un vrai miracle car nous étions lessivés. Le lendemain nous nous réveillâmes sous la neige. L’hiver était arrivé ! Il tombait des gros flocons, il avait neigé toute la nuit. Finalement, nous avions bien fait de rouler jusqu’à San Antonio de los Cobres. Pas sûr que le col au-dessus de Tolar Grande soit praticable après une nuit de neige !! Nous partîmes au plus vite à Salta pour partager un « asado » avec Pichi, sa femme Mercedes et un ami guide Mathias. En arrivant dans la ville, nous fûmes impressionnés par les rues inondées…..la ville était sous l’eau. Un serveur au restaurant nous montra une vidéo de la place principale la veille au soir…les gens avaient de l’eau jusqu’à la taille !! Mais, cela ne nous empêcha pas de passer une super soirée jusqu’à tard dans la nuit à nous raconter des histoires de montagnes ! C’est alors que Pichi me dit “Cette montagne est sacrée….ne ressens tu pas une ambiance très très spéciale là-haut ? ». Je crois que c’est clair désormais, cette montagne a vraiment quelque chose de spécial, à la fois attirante et terrifiante !!
Après la pluie le beau temps, alors que nous repartions sur Villazon en Bolivie, le ciel bleu était de retour avec de magnifiques vues sur les hauts plateaux enneigés….unique !!!!