Tourné en Bolivie, le film documentaire « Samuel in the clouds » (« Samuel en las nubes » en espagnol) réalisé par Pieter Van Eecke, relate l’histoire de Samuel, employé de l’ancienne station de ski de Chacaltaya (5.421 mètres). Le film aborde de façon poétique l’alarmante fonte des glaciers, conséquence du réchauffement climatique.
Ce film a séduit le jury par «sa beauté formelle – il n’y a pas un cadre qui ne soit magnifique – et sa grande simplicité de narration, un rythme lent qui nous a emmené ailleurs. C’est un film à vivre ! », a résumé le réalisateur Guillaume Vincent, membre du jury du Festival International du Film de Montagnes d’Autrans. Libération, le 6 Décembre 2016.
» Bonjour Isabel,
Nous avons eu l’occasion de te voir dans le film documentaire « Samuel in the clouds » qui passe actuellement à la Cinemateca Boliviana de la Paz et étions très curieux de pouvoir échanger avec toi sur ta présence dans ce film.
Pour commencer, peux tu nous parler un peu de toi et de ton travail de chercheuse ici en Bolivie ?
Je m’appelle Isabel Moreno Rivadeneira, bolivienne aux origines autant andines qu’amazoniennes, curieuse de rencontres et de découvertes. Après avoir fait ma licence en Bolivie, je suis partie pour me spécialiser en Sciences de la Terre à Grenoble, où j’ai passé cinq années très chouettes. J’ai toujours aimé voyager, sans doute grâce à ma famille, qui à sa façon, est très aventurière (mes parents ont donné des cours d’espagnol à l’université de Pekin pendant deux ans, alors ma petite sœur a appris à parler le chinois avant l’espagnol !) Les études furent un très beau prétexte pour découvrir un autre continent. À présent, je travaille en tant qu’ingénieur de recherche pour l’Observatoire entretenu par l’université publique (UMSA) à Chacaltaya.
Comment as tu été amenée à te retrouver dans le film et peux-tu nous parler du déroulement du tournage ?
L’interaction était inévitable, l’observatoire scientifique étant voisin du Club Andin. Au départ je n’ai fait que répondre aux mails avec les milliers de questions du réalisateur, Pieter Van Eecke, et regardais de loin le tournage. Pourtant, petit à petit, j’ai commencé à me rapprocher de l’action, autant par curiosité. Pieter a fini par m’apprendre un tas de choses intéressantes sur l’histoire du Club Andin – comme par sympathie envers toute l’équipe. J’ai été impressionnée par leur acharnement et méticulosité… Ce n’est pas facile de se trimballer avec de l’équipement lourd et pas du tout ergonomique à 5300 m !
Quelle a été ta relation avec le réalisateur Pieter Van Eecke, l’acteur principal Samuel et tous les autres acteurs comme l’équipe de tournage et l’équipe scientifique ?
J’avais déjà croisé Samuel Mendoza à Chacaltaya, mais il n’est pas très bavard. Pieter a la capacité de créer une atmosphère de confiance autour de lui. Alors, grâce au tournage j’ai mieux fait connaissance de mon voisin de montagne, Samuel, et grâce à lui des autres personnages encore moins bavards que lui même, comme les ardoisiers. Samuel est la clef de cette montagne. Je ne suis pas la seule à travailler à la station, on voit quelques uns de mes collègues apparaitre dans le documentaire.
En général, je monte seule au sommet pour faire mes manips et j’aime énormément ce moment de marche en silence avec moi-même, avec la vue du Sajama et du Lac Titicaca. Néanmoins, ça fait toujours plaisir de retrouver des visages amicaux là-haut, partager un mate de coca dans le monde suspendu de la montagne.
Anne de l’équipe Thaki est une andiniste passionnée qui a gravi tous les sommets de 6000 mètres de Bolivie. Elle constate et s’inquiète de la triste fonte des glaciers qu’elle évoque dans son livre « La Cordillère Royale ».
En tant que scientifique, peux-tu nous en dire davantage sur la situation observée à Chacaltaya et sur les scénarios futurs ?
Je comprends, lorsque je me retrouve en face d’un glacier j’ai l’impression de tomber amoureuse. Mon cœur bat vite, quoique… ça doit être le mal de montagne (rires). N’empêche, j’ai un sentiment de bonheur et plénitude. La perte des glaciers est une réalité et avec eux, on perd beaucoup plus qu’une belle masse d’eau gelée.
Mis à part les effets climatiques, des décennies plus sèches qu’auparavant et des températures globales montantes observées dans les Andes tropicales, Chacaltaya a été achevée par l’arrivée quasi journalière de la pollution de la zone métropolitaine. Pour le futur, il faut déjà commencer par accepter qu’on tend vers un climat méconnu et qu’il faut commencer à entreprendre des actions pour s’y adapter le mieux possible.
Nous savons que la Bolivie souffre actuellement d’une situation très critique (rationnement d’eau) due entre autre aux changements climatiques, comment réagis-tu face à la situation actuelle ?
Je m’inquiète, sans doute, mais j’essaye de réagir aussi calmement que possible. Juste avant la crise, on avait installé un système de collecte d’eau de pluie à la maison. On ne s’en rend pas compte de combien d’eau tombe du ciel ! Je crois que si pendant la saison des pluies tout le monde favorisait l’usage d’eau de pluie pour les toilettes, faire la lessive, arroser le jardin, etc. on pourrait soulager la charge de barrages. Mais pour que cela marche, il faut que tout le monde prenne conscience, et je crois que ceux qui ont été touchés fortement par le rationnement l’ont déjà fait.
J’essaye d’en discuter avec les gens, parce que je crois qu’il faut renforcer l’esprit de communauté dans les villes.
Au delà de la « sphère professionnelle » et de ton travail de chercheuse, peux-tu nous parler de tes éventuels engagements personnels ou actions face aux enjeux du réchauffement climatique ?
Ça fait bien depuis longtemps que ma tête à fini par convaincre mes esprits. J’essaye de faire la paix avec la Terre avec chacune de mes actions, il faut de la douceur envers l’environnement, les autres et soi-même pour se réconcilier avec la Nature.
En dehors de mon foyer, je soutiens autant que possible le travail des collectifs à cet égard, comme par exemple : La Casa de los Ningunos, Terra Nova et Círculo Achocalla.
Enfin, sais-tu si le film sera bientôt disponible en France et souhaites-tu dire un dernier mot à nos lecteurs ?
Seulement une très bonne nouvelle : « Samuel in the Clouds » vient d’emporter le grand prix du jury au Festival International du Film de Montagne d’Autrans ! »
Un énorme merci de toute la Team Thaki !
Propos recueillis par Marie-Florine D.